Parlons, mes amis, de Beyond the Mountains of Madness (BtMoM). J’ai lu voilà quelques semaines que la maison d’édition française Sans-Détour s’apprêtait à traduire cette méga-campagne pour l’Appel de Cthulhu. Chapeau à Sans-Détour de reprendre le flambeau de Descartes et de faire des produits de si bonne qualité et combien impossible à acheter.
Cependant, je tiens à dire à ceux qui n’ont jamais joué cette campagne que vous allez être déçu. Et oui, je l’avoue, j’ai fait jouer cette campagne et maintenant je crois que c’est la campagne la plus fade et la plus injouable que j’ai jamais fait jouer. Et vlan! Vous savez, BtMoM possède une aura magique, un hype comme disent mes voisins du Sud, qui voile les insurmontables faiblesses de cette campagne.
«Wow! Les Grands Anciens! Wow! L’Antarctique!»
En effet, comment comprendre cette aura magique sans parler de At the mountains of madness, nouvelle écrite par Lovecraft? Pour les hardcore gamers et fanboy de l’Appel de Cthulhu, cette nouvelle est la meilleure de Lovecraft. Et j’en suis un. Quand j’ai appris l’existence d’une campagne qui faisait redécouvrir la cité des Grands Anciens, j’ai commencé à fantasmer : il fallait que je fasse jouer cette campagne!
Malheur à moi!
Cette campagne est vraiment nulle. Les événements s’y déroulant sont tout aussi nuls : il n’y a rien d’excitant à se rendre en Antarctique, il n’y a rien d’excitant à chercher le saboteur dans le navire, il n’y a rien d’excitant à enquêter et il n’y a rien d’excitant à vérifier des listes d’équipements.
«Fuck les pingouins albinos! Fuck les inventaires!»
Les maudites listes d’équipements. Une des activités des HÉROS (vous savez, ceux qui sont autour de la table et qui doivent accomplir des actions héroïques pour sauver le monde) est de vérifier l’inventaire du navire. Ouf! Quelle activité rôlistique! Pas une liste, pas deux listes, mais sept listes! Le problème est qu’ils vont découvrir qu’il manque des équipements! Re-ouf! On s’en fout! Quand ils vont mettre le pied sur la Glace, pensez-vous une seconde que la gestion de l’inventaire aura changé quelque chose à cette campagne?
NON!
Surpris? Et bien pas moi!
Seul un gardien des arcanes complètement défoncé pourrait dire à ses joueurs : « Désolé, mais t’as pas vérifié correctement l’inventaire du navire et les outils dont le mécanicien a besoin ne sont pas de la bonne taille pour effectuer la réparation du moteur de l’avion... Vous ne pouvez pas vous envoler vers les montagnes. Il ne vous reste plus qu’à retourner à New-York. La campagne est terminée.»
«Dans cette campagne, l’inaction est une action valable»
Lorsque les joueurs et l’équipage sont rassemblés à New-York, quelques jours avant le départ, il ne se passe rien! Aucun événement, pas même un événement qui mettrait en péril l’expédition. Le feu? Oui il y un feu, mais ce n’est pas du jeu de rôle, c’est une scène scriptée. Les journalistes omniprésents qui fouillent le passé des investigateurs font sourire, mais ne changeront rien à l’histoire, les rencontres avec les scientifiques n’apportent rien de plus à la campagne sinon qu’un simple avertissement.
Les Allemands font n’importe quoi : la mort du capitaine Douglas ne sert à rien car toutes les pistes d’enquête que les joueurs auraient pu tirer profit sont déjà froides dès le départ.
Et si vous suivez l’échéancier de la campagne, les joueurs ne font rien d’autre que du travail de gestion. À quoi bon jouer si le mince fil conducteur s’évapore dès que les joueurs s’en approchent?
Vous savez, si vous voulez vraiment rendre cette campagne intéressante, il n’y a qu’une chose à faire : ne faire jouer que la fin. Oubliez la vérification de l’inventaire! Oubliez les journalistes! Oubliez les fausses tentatives de sabotage! Oubliez la petite escapade sans but en Australie! Oubliez les 200 pnj de la campagne! Oubliez tout ça et dites à vos joueurs ceci : «Qui veut donner sa tête pour sauver l’humanité?»
De cette manière, vous économiserez votre temps et pourrez faire jouer Tatters of the King.
Et cette campagne ne se termine jamais! Le retour en bateau vers la civilisation est un ripp-off de Alien. Horreur! La campagne est déjà un fiasco, pourquoi vouloir réanimer un cadavre?
J’ai entendu dire que cette campagne devait être jouée par des joueurs méticuleux, des joueurs qui aiment les détails, la précision, qui aiment couper les cheveux en quatre. Fuck! C’est trop donner de qualité à cette campagne!
Réveillez-vous! Ce n’est pas parce qu’une campagne plagie fidèlement une nouvelle de Lovecraft qu’elle est nécessairement viable dans un jeu de rôle!
Quelques fois, il y des mythes qui sont tenaces…
C'est un avis poisson d'avril ou c'est vraiment une mauvaise campagne?
RépondreSupprimerEt non, ce n'est pas un poisson d'avril. J'ai mauvaise conscience maintenant, mais il fallait que je partage mon opinion.
RépondreSupprimerPersonnellement, je vois cette campagne comme un immense squelette, un prétexte à fignoler son propre scénario. Ce que j'ai joué en ta compagnie a été intéressant sur bien des points. Mais ce sont en général tes idées persos inclues dans le scénario qui ont pris une réelle saveur (noter des infos à propos des pnjs, par exemple). C'est vrai cependant que l'intrigue de cette campagne m'a semblé faible. Il aura fallu beaucoup de bonne volonté pour faire avancer l'histoire, en effet.
RépondreSupprimerPour ma part, je ne ferais jamais jouer un tel scénario pour de nombreuses raisons. La première étant qu'il y a trop de bonnes histoire dans ma tête (et dans la tienne) pour s'évertuer à suivre des traces de tacherons concepteurs de scénarios bidons et abscons.
Je trouve que tu as eu un immense courage en lisant cette campagne, au départ. Peut-être était-ce un aveuglement tenace qui t'a poussé à nous la faire jouer (en partie), mais je vois ça, avec du recul, comme un acte de foi.
T'es un rejeton de Cthulhu, Docteur West! Va falloir que tu t'y fasses, espèce de vieux collectionneur lovecraftien!...
Y'a des passions de jeunesse qui sont tenaces!
Bonjour,
RépondreSupprimerJe respecte ton point de vue, bien que je ne le partage pas du tout ;)
Je pense que les deux exemples que tu proposes sont précisément les deux mauvais aspects de cette campagne, qui avec ses 450 pages en contient plein d'autres très bons.
Les listes d'inventaire : effectivement, autour d'une table, c'est long et sans intérêt. Personellement je fais jouer la campagne par forum, et c'est déjà long, donc je l'ai laissé car cela a d'autres avantages, mais autour d'une table, c'est clairement inutile.
D'autre part, le chapitre sur la mort du capitaine Douglas ne sert effectivement à rien. Je l'ai simplement supprimé.
Après c'est clairement une campagne très dirigiste dans sa première moitié (et encore un peu par la suite), mais c'est là que se situe le point crucial : dans BtMoM tu trouves qq chose qui n'est pas souvent là dans le jdr (et qui n'est probablement possible qu'avec l'AdC), la possibilité de faire s'épanouir des personnages au sein d'une situation de contraintes fortes. Ce ne sont pas des héros. Ce sont des exécutants, pendant une bonne moitié de la campagne. Est-ce qu'ensemble le groupe peut quand même faire du JdR excitant et de grande qualité malgré ça ? Je constate que oui. Ca dépend beaucoup du groupe de joueurs et de ce qu'ils recherchent. S'il veulent sauver le monde vite et bien avec des persos sans trop de profondeur, les Fungi de Yuggoth est probablement bien plus adapté et tout aussi mythique.
En revanche si tu veux de l'immersion et du roleplaying, tu vas être servi. Mais personne ne le dissimule : c'est un investissement énorme et sur un très long terme.
Je suis bien d'accord avec toi Emmanuel. Le role-play est essentiel dans cette campagne (BtMoM) et justement j'avais mis l'emphase sur les personnages secondaires (plutôt dire que j'avais sélectionné une dizaine de pnj par expédition) pour permettre aux joueurs d'avoir un cadre de jeu valable et qui permettait aux joueurs d'aller vers l'avant dans leur non-action.
RépondreSupprimerCe n'est pas nécessairement le côté dirigiste que je déplore, mais bien l'absence d'évènements narratifs intéressants pour permettre une continuité probante dans la diégèse de la campagne (ouf!mon côté littéraire revient!)
J'ai tojours pensé qu'une aventure ou une campagne devait se dérouler comme un récit : situation initiale, évènement déclancheur, péripétie et retour à la normal. Cependant BtMoM propose l'évènement déclancheur (la ville des Anciens) quasiment à la fin de la campagne. Quand on passe les 2/3 de la campagne sur le bateau ou à courir après de l'équipement, ça laisse peu de temps pour construire l'horreur dans le coeur des joueurs.
Mais bon... Je ne regrète pas mon expérience, mais je préfère refaire jouer Tatters of the King que de refaire jouer BtMoM.
Hmmm.... hmmmm.
RépondreSupprimerJe te propose d'aller jeter un oeil ici
http://www.yog-sothoth.com/threads/18215-Obsessed-by-the-Ice-quot-Beyond-the-Mountains-of-Madness-quot-game-and-metagame
puis lentement, méthodiquement, d'avaler ton chapeau ;-)
Cordialement
Christian Lehmann